Voyage au bout de la rizière – 1 – Hanoï
Une femme souple et longiligne marche au bord de la route
Au loin dans la rizière, un buffle s’essouffle au travail
Un enfant, jambes nues, guide le buffle et s’arc-boute
Il pèse de tout son poids sur la charrue malgré sa petite taille
Il doit avoir dix ans au plus, il est couvert de boue
Son visage ombré est recouvert d’un chapeau conique
Pour diriger le buffle, il crie ses ordres et se sert d’un bambou
Et de loin, cette scène me semble somptueuse, même magique
Depuis ma première visite de ce pays, je m’y suis attaché
Ce peuple fier, généreux et charmant, m’est indispensable
Depuis longtemps dans mes voyages, j’avais recherché
Toujours plus loin, la rencontre d’un pays indomptable
Ce premier voyage au Vietnam, je l’appréhendais un peu
C’était ma première fois, sac à dos, y compris en Asie
Je me sentais à l’aise mais j’appelais de mes vœux
Que le lointain passé guerrier de nos deux pays
Ne nous rebute pas, et nous rende plus méfiants
De ses habitants, dont je n’avais qu’une pale image
Que malgré nos cultures et nos tempéraments différents
Cela ne provoque pas un quelconque blocage
A Hanoï, je décidais de prendre un guide. Il s’appelait Thang
Thang m’a rapidement rassuré, nous sommes partis en confiance
Il avait connu la misère et la faim, et sa mère à bord de son sampang
Faisait, pour faire vivre sa famille, comme des transhumances
Naviguant du golfe du Tonkin jusqu’à remonter le Yuan Jiang
Avec ses marchandises à vendre, arrachées à la sueur de son front
Partant seule avec son chargement, terminant souvent les mains en sang
Sous le soleil brûlant, elle s’était éreintée jusqu’ à en perdre la raison
Thang avait connu dès sa plus jeune enfance
La rudesse de « marcher derrière le buffle » pendant des heures
Il s’était promis que ses enfants ne subiraient pas cette même désespérance
S’était fixé comme but d’étudier en grandes écoles, comme ses frères et sœurs
Il avait appris les langues et les mathématiques
Voulait devenir guide, faire découvrir le Vietnam
Multiplier les rencontres dans ce pays magique
Toutes ces belles choses, cette évasion que le poète déclame
Les paysages d’une beauté à couper le souffle
Cette cuisine à nulle autre pareille, si délicieuse
Les sourires, la patience de ce peuple que rien n’essouffle
Ces villages, cette nature, ces temples aux histoires mystérieuses
A mon hôtel, avec mon amie, nous avons mis au point ensemble
Un périple de trois semaines divisé comme un triptyque
Une randonnée, un itinéraire qui nous ressemble
Voir, écouter, sentir et pénétrer ce Vietnam énigmatique
Hanoï pour commencer : sa vie frénétique, ses monuments, ses temples
Aller à la rencontre de cette ville hors des sentiers battus
Ensuite, traverser les plaines, les rizières, les villages que l’on contemple
Avec admiration et étonnement, discuter avec ses habitants accourus
Pour enfin accéder à notre attente : la baie de Ha Long, comme un mirage
Au moment de notre arrivée, nous avons senti une vraie effervescence
Thang avait su réserver, rien que pour nous, une jonque et tout son équipage
Et devant le fourmillement de tous ces voyageurs, cette affluence,
Nous avons quitté rapidement notre voiture et notre chauffeur
Thang est parti chercher les billets précédemment réservés
L’enchantement était de regarder ces jonques riches en couleurs
Le grand départ approchait, nous étions prêts pour appareiller
C’était comme dans une bande dessinée de Tintin
Mon regard cherchait le capitaine Haddock sur le pont
Il ne rencontra que ceux de multiples marins
Commençant à hisser les voiles en toute décontraction
Louvoyant à travers les autres jonques, toutes ravissantes
Nous foncions droit vers ce continent irréel, comme une autre planète
Cette baie ponctuée de maints pitons rocheux et d’îles éclatantes
Abandonnant ce monde, partant à la sauvette
Nous étions ébahis devant tant de beauté, ces paysages somptueux
A chaque instant, à chaque nouveau piton rocheux découvert,
Je me disais que nous avions changé d’univers ou de dieux
Que seule la main d’un grand créateur, d’un véritable expert
Pouvait avoir créé un décor d’une telle splendeur
C’était la première fois qu’il s’avérait que je quittais la terre
Et mon être tout entier réclamait cette primeur
D’avoir le sentiment d’être sur un navire de verre
Tellement limpide qu’il était devenu invisible
Et sur cette superbe jonque, plus rien d’autre n’existait
Que nous étions seuls au monde, indestructibles
Que même le plus rapide des navires se briserait
A essayer de capturer notre navire des dieux
Dans ce décor à la fois irréel, colossal
Que nous bénéficions d’un rempart prodigieux
Invisible lui aussi et d’un effet total
Dans ces batailles navales que je sentais revivre en moi
Comme si je revenais d’une autre époque, d’un autre âge
Où j’étais le capitaine de cette flotte hors la loi
Repoussant avec fougue les ennemis descendus de Carthage
Dois-je avouer que ces deux jours, et que cette chaude nuit
Furent dans ma vie des moments les plus incroyables
Que mon imaginaire inspiré et mystique, enfin se permit
De laisser libre court cette fois à un rêve délectable
Fin de la 1ere partie ‘Triptyque Vietnam’
Santa Luzia
27 août 2016
Patrick Bazin